Bouquetin, seigneur de l’hiver
Il est facile de prendre des bouquetins en photo dans les Alpes.
Mais il est selon moi plus difficile de réaliser des photos qui nous parlent, directement, de la noblesse de cet animal, de sa formidable adaptation à son milieu, et du respect qu’il doit nous inspirer, tout simplement.
J’ai souvent eu l’occasion de photographier des bouquetins de Chartreuse, sans jamais être satisfait du résultat : environnement trop banal, photos trop communes, pas à la hauteur de la noblesse de l’animal… Hum… dans ce cas c’est souvent celui qui est derrière l’objectif qui n’est pas à la hauteur de son sujet! Il me fallait être plus exigeant sur les conditions, sur l’environnement, la météo… bref m’investir plus sérieusement sur mon sujet, comme savent le faire les photographes animaliers (ce que je ne suis pas !)
J’ai longtemps imaginé une image de ce type sur le bouquetin de Chartreuse : je voulais une image qui porte une signature de la Chartreuse, au cœur de l’hiver, avec une prégnance des éléments, une image qui parle d’adaptation, d’immersion, de résistance, de force tranquille…
Je ne pensais pas, dans cet hiver quasi printanier, trouver les conditions réunies pour un essai. Pourtant une sortie 48h avant une chute de neige m’a permis de localiser un groupe de six mâles dans un endroit accessible sur les plateaux de la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse. Chance ? Le jour de la chute de neige, je remonte sur les plateaux, sous une neige fine qui redonne à la montagne son atmosphère feutrée et féerique. Je traverse tout le plateau pour remonter face au vent sous les barres rocheuses : de cette façon, je pense progresser à peu près à la hauteur supposée des animaux et peut-être les avoir de face (… si j’arrive à les trouver !), sans avoir à bouger pour un minimum de dérangement. Je progresse ainsi une heure avec une visibilité parfois réduite, je sais les animaux présents ici, quelque part… enfin j’aperçois un bouquetin devant moi, c’est bien le même groupe de mâles ! Je m’arrête à bonne distance, sors mon appareil et attends. Les animaux m’observent un bref instant, puis reprennent leur activité hivernale prioritaire : se nourrir. Peu à peu un premier animal se déplace vers moi, suivi d’un autre… je ne bouge pas, évite tout mouvement brusque. Bientôt ils sont juste au-dessus de moi sur une vire, passant d’un arbrisseau à un autre, dont ils semblent consommer bourgeons et extrémités des tiges.
De mon point de vue ils se détachent sur la falaise striée de jaune et de gris derrière eux. La contre-plongée renforce leur posture hiératique. La neige tombe en flocons fins qui s’accrochent sur leur pelage et une fine pellicule blanche ourle leurs cornes… Impassibles dans le dernier sursaut de l’hiver, ils m’offrent de partager ce beau moment de quiétude hivernale. Au bout d’une heure et de 400 déclenchements (!), je m’extrais de la fascination de la scène et quitte ce royaume d’altitude, comblé.
En descendant, je pense à cette injonction d’un photographe canadien devant les instants de grâce offerts à la patience du photographe : « be grateful ! »… Gratitude…
Editing et post-production : je retiens de cette séance 3 photos présentées ci-dessous.
- La première pour exprimer l’idée du « seigneur en son domaine ». Pour cette photo je cherchais deux choses : la posture hiératique du bouquetin pour exprimer la noblesse de l’animal, et son immersion dans l’univers minéral et hivernal de la montagne. Ma situation en contre plongée et le choix d’un cadrage vertical m’ont permis de donner de l’importance à l’arrière-plan de falaises. Pour renforcer encore l’impression d’immersion dans l’univers minéral, je cadre large (au 140 mm à une quarantaine de mètres) pour laisser beaucoup d’espace au dessus du sujet : le choix du rapport sujet / espace négatif est toujours une question essentielle au cadrage, selon votre intention (c’est un aspect que j’aborde largement dans mes stages sur la composition d’image). Pour finir avec cette image, je fais le choix d’une post-production minimale, en contrastant juste le sujet, pour renforcer l’effet visuel d’isolement du sujet par rapport au fond. Je garde volontairement un fond très estompé avec une balance des blancs légèrement froide qui conviennent bien à l’atmosphère de neige du jour. J’ajoute juste un peu de texture sous Lightroom pour bien dégager les flocons.
- La seconde photo m’intéresse pour son côté mystérieux, avec juste cette corne qui dépasse, donnant un effet « licorne » un peu fantastique, auxquelles répondent graphiquement les stries noires du rocher en arrière-plan. Le bouquetin s’efface, mais la signature de sa présence est suffisamment évocatrice pour que notre imaginaire fasse le reste. J’avais aussi des photos avec les deux cornes visibles, mais elles avaient alors un côté trop évident, moins intrigant et donc moins intéressant !
- Enfin la troisième photo est la meilleure de la série pour exprimer la puissance de l’animal, sa volonté, sa résistance face aux éléments, sa formidable adaptation au milieu. La posture de l’animal, presque intimidante pour le spectateur, impose sa présence et force le respect. La composition de l’image est assez simple, et je profite là encore de l’arrière-plan graphique et coloré de la falaise qui littéralement « met en scène l’animal » sur un fond flou comme un rideau de théâtre fermant l’arrière-plan. J’aime bien la simplicité graphique de l’ensemble.
Côté prise de vue :
photos réalisées au 70-200 mm 2.8, avec multiplicateur X1,4, sur un boitier APSC (combinaison loin d’être idéale, certes…). La principale difficulté à la prise de vue est la mise au point par ce temps de neige : l’autofocus est souvent perturbé par les flocons entre moi et le sujet, ce qui occasionne des décalages de mise au point (voire carrément des patinages quand je perds le sujet !). La mise au point manuelle s’impose, mais je rencontre aussi vite des soucis : comme je suis placé vent de face – ou de côté selon le cadrage – je prends toute la neige dans la tronche… Résultat, la neige s’accumule vite devant l’œilleton de mon viseur, et comme je porte des lunettes, ça n’arrange rien ! J’alterne au mieux autofocus et mise au point manuelle, et fais des pauses obligées pour nettoyer lunettes, viseur, et contrôler la neige qui atteint la lentille de l’objectif malgré la longueur du pare-soleil. C’est du sport la photo sous la neige ! A postériori, je pense que basculer mon autofocus sur le bouton AF-ON m’aurait grandement simplifié la vie… à tester pour la prochaine séance !
Les prochains stages photo bouquetin en Chartreuse : 25 sept. 2020, 12 dec. 2020 (stage photo rut du bouquetin)
Et voir aussi le stage de formation Lightroom pour apprendre à optimiser le rendu de vos photos selon votre intention photographique !
Et pour ceux qui veulent un stage plus long, nous vous proposons avec Un Oeil sur la Nature un stage de 4 jours sur le rut du bouquetin dans les Ecrins.
Voilà pour le premier post de cette nouvelle série de blogs ! N’hésitez pas à réagir et me dire si le principe vous plaît !